Blockchain

“In girum imus nocte et consumimur igni”

 

French Version 🇨🇵

Qu’est-ce que la blockchain ?

D’en entendre vanter les mérites à longueur de journée, il est facile de finir par oublier ce en quoi consiste techniquement la blockchain, ce qu’elle permet, et quelles en sont les limitations. En comprendre le fonctionnement permet d’en concevoir des usages toujours plus créatifs, mais également d’apprécier la complexité de la mise en oeuvre de certaines de ces solutions.

La blockchain a été créée pour résoudre un problème simple : les systèmes de paiement traditionnels sont basés sur la connaissance de l’identité des parties à l’échange. La validité de ces identités est garantie par une instance centralisée (État, administrateurs d’un site, huissier, etc.). Mais si l’on veut établir un système décentralisé de paiements, c’est-à-dire sans instance centrale régulatrice, alors la validation des identités des participants ne peut être assurée. C’est le prix à payer pour un système ouvert, sans enregistrement, et rapide. Mais comment assurer dans le même temps que des participants anonymes assument réellement leurs obligations contractuelles, et qu’ils ne puissent ni mentir sur l’état réel de leurs finances, ni récupérer la somme payée après la réalisation de la transaction ? Dans le monde physique, il est impossible de créer de la confiance entre personnes anonymes, car la facilité à tirer parti de l’asymétrie d’informations entre participants sélectionnera de préférence les arnaques aux transactions honnêtes.

La solution proposée par la blockchain est d’introduire un seul élément de centralisation indiscutable et infalsifiable au sein d’un système totalement décentralisé : le livre de comptes qui tient lieu d’historique indélébile de toutes les transactions réalisées. De ce fait, pour assurer l’intégrité du système, il suffit que tous les validateurs (« mineurs ») du système téléchargent la copie exacte du registre unique de toutes les transactions. Ils peuvent ainsi vérifier à tout moment les comptes de chacun des participants anonymes, et savoir s’ils disposent des fonds nécessaires à la transaction. Une fois la transaction validée, « minée », celle-ci s’ajoute au registre et devient donc visible à chacun. Ainsi, anonymat et transparence fonctionnent de pair pour éliminer toute possibilité de conduite malveillante. L’expression blockchain désigne la chaîne de blocs de transactions. Pour valider des transactions, les mineurs doivent résoudre un problème mathématique difficile. Le premier à l’avoir résolu valide les transactions de son bloc, ce qui rend caduques toutes les autres validations en cours chez les autres mineurs, préservant ainsi l’unicité de l’historique des transactions. En l’absence de ce mécanisme, appelé « preuve de travail » (« Proof of work »), tous les mineurs pourraient proposer au même moment des transactions mutuellement contradictoires, et le principe même d’un registre unique cesserait d’opérer.

Lancé en 2008, le Bitcoin a été la première incarnation pratique de la blockchain, et de ce fait, les cryptomonnaies en sont venues à représenter la blockchain dans l’imaginaire du grand public. En somme, la blockchain peut être vue comme une façon de monétiser des calculs, puisque les mineurs offrent leur puissance de calcul pour valider des transactions en Bitcoin, et sont récompensés dans la même monnaie. En 2014, Ethereum a ouvert de nouvelles perspectives en exploitant le plein potentiel de la technologie du registre distribué : si les cryptomonnaies sont créées par des calculs, c’est-à-dire des programmes informatiques, pourquoi ne pas généraliser le concept et considérer que la blockchain sera un système de traitement de transactions monétaires via des programmes informatiques à exécution automatique ? En renversant ainsi la question, Ethereum ouvre la voie à l’utilisation de contrats intelligents, gérant des transactions monétaires en fonction de certaines conditions définies librement par les usagers.

Toutes ces idées, imaginées bien avant leur mise en oeuvre par le Bitcoin et Ethereum, ont pour la première fois démontré leur validité et leur efficacité pratique. À leur suite, de nombreuses autres blockchains ont vu le jour : Polkadot, Cardano, Tezos, Binance Smart Chain, Solana, pour citer les plus connues. Elles diffèrent par le temps de traitement des transactions, les frais de validation, et donc leur degré de centralisation. Il existe en effet un arbitrage entre sécurité, ouverture du réseau, et rapidité. Plus le réseau est ouvert au public, plus il nécessite de validateurs pour assurer l’honnêteté des transactions, plus il est lent et cher à l’usage. Certaines blockchains ont donc opté pour une centralisation accrue, avec peu de mineurs, afin de gagner en vitesse. D’autres ont sacrifié l’ouverture, et ne sont réservées qu’à des membres identifiés : ce sont les chaînes « permissionnées », comme Hedera et Hyperledger, qui ont la préférence des groupements d’entreprises pour des réseaux connectant des partenaires ciblés.

Comme tout système informatique, les blockchains ne sont pas exemptes de défauts. La sécurité des transactions a été assurée sur le réseau Bitcoin par la mise en place d’une « preuve de travail », qui est aujourd’hui décriée pour la haute consommation d’énergie qu’elle occasionne. Ethereum s’est initialement basé sur le même mécanisme, mais en souffre de plus en plus, car sa complexité congestionne le réseau et conduit à des coûts de fonctionnement devenus aberrants.

La deuxième génération de blockchains utilise la « preuve d’enjeu » (« Proof of stake »), qui ne demande plus la résolution d’un problème, et permet à tous ceux qui possèdent une somme suffisante de la cryptomonnaie de la chaîne, de jouer le rôle de validateur. D’autres modes de preuve incluent la « preuve de possession » (« Proof of hold »), reflétant la durée de la possession de la cryptomonnaie utilisée sur le réseau (token), la « preuve d’importance » (« Proof of importance »), basée sur la réputation du validateur, la « preuve d’utilisation » (« Proof of use »), correspondant au volume de transactions effectuées par l’utilisateur, ou enfin la « preuve de destruction » (« Proof of burn »), par laquelle un validateur détruit une partie de ses avoirs afin de prouver son engagement envers le protocole. D’autres techniques plus complexes, comme le sharding (segmentation des opérations) et les rollups (calculs hors-chaînes, moins coûteux mais basés sur des concepts mathématiques avancés), sont les solutions actuelles présentées pour faire baisser la consommation énergétique de la blockchain, qui reste toutefois dans le même ordre de proportions que les activités des data centers du web 2.0.

En tant que solution technique, la blockchain est un type de protocole en constante évolution. Elle mobilise les meilleures compétences d’ingénierie des réseaux, de cryptographie, d’économie et d’électronique. Les solutions qu’elle dessine ont déjà donné naissance à une nouvelle manière de penser l’entrepreneuriat, les échanges commerciaux, et la valorisation des actifs numériques. Par-delà les crises et les bulles, la blockchain et le web 3.0 auront un impact durable sur tous les secteurs de l’économie.

English Version 🇬🇧 🇺🇲

What is blockchain?

Amidst the constant praise of blockchain, it's easy to forget what it technically entails, what it enables, and what its limitations are. Understanding its workings allows for the conception of ever more creative uses and also appreciation of the complexity in implementing some of these solutions.

Blockchain was created to solve a simple problem: traditional payment systems rely on knowing the identity of the parties involved in the exchange. The validity of these identities is guaranteed by a centralized authority (government, site administrators, notary, etc.). However, if one desires to establish a decentralized payment system, i.e., without a central regulatory authority, then validating the identities of participants becomes uncertain. This is the trade-off for an open system, without registration, and fast. But how can one ensure that anonymous participants genuinely fulfill their contractual obligations and cannot lie about their financial status or reclaim the amount paid after the transaction? In the physical world, it's impossible to establish trust between anonymous parties because the ease of exploiting information asymmetry between participants favors scams over honest transactions.

The solution proposed by blockchain is to introduce a single element of undeniable and tamper-proof centralization within a completely decentralized system: the ledger that serves as an indelible record of all transactions conducted. Consequently, to ensure the system's integrity, all validators ("miners") of the system download an exact copy of the single register containing all transactions. This allows them to verify at any time the accounts of each anonymous participant and ascertain if they have the necessary funds for the transaction. Once the transaction is validated, or "mined," it is added to the ledger and becomes visible to everyone. Thus, anonymity and transparency work together to eliminate any possibility of malicious behavior. The term "blockchain" refers to the chain of transaction blocks. To validate transactions, miners must solve a difficult mathematical problem. The first to solve it validates the transactions in their block, rendering all other ongoing validations by other miners invalid, thus preserving the uniqueness of the transaction history. Without this mechanism, called "proof of work," all miners could propose mutually contradictory transactions simultaneously, and the concept of a single ledger would cease to operate.

Launched in 2008, Bitcoin was the first practical implementation of blockchain, and consequently, cryptocurrencies have come to represent blockchain in the public imagination. In essence, blockchain can be seen as a way to monetize calculations, as miners offer their computing power to validate Bitcoin transactions and are rewarded in the same currency. In 2014, Ethereum opened new avenues by leveraging the full potential of distributed ledger technology: if cryptocurrencies are created through calculations, i.e., computer programs, why not generalize the concept and consider blockchain as a system for processing monetary transactions via automatically executable computer programs? By flipping the question in this manner, Ethereum paves the way for the use of smart contracts, managing monetary transactions based on conditions freely defined by users.

All these ideas, conceived long before their implementation by Bitcoin and Ethereum, have for the first time demonstrated their validity and practical efficiency. Following their lead, numerous other blockchains have emerged: Polkadot, Cardano, Tezos, Binance Smart Chain, Solana, to name the most well-known. They differ in transaction processing time, validation fees, and therefore their degree of centralization. Indeed, there is a trade-off between security, network openness, and speed. The more open the network is to the public, the more validators it requires to ensure transaction honesty, making it slower and more expensive to use. Some blockchains have therefore opted for increased centralization, with few miners, to gain speed. Others have sacrificed openness and are reserved for identified members: these are "permissioned" chains, such as Hedera and Hyperledger, preferred by consortia of companies for networks connecting targeted partners.

Like any computer system, blockchains are not without flaws. Transaction security on the Bitcoin network has been ensured by the implementation of "proof of work," which is now criticized for its high energy consumption. Ethereum initially relied on the same mechanism but increasingly suffers from it as its complexity congests the network and leads to operating costs that have become exorbitant.

The second generation of blockchains uses "proof of stake," which no longer requires problem-solving and allows anyone with a sufficient sum of the cryptocurrency on the chain to act as a validator. Other proof methods include "proof of possession," reflecting the duration of holding the cryptocurrency used on the network (token), "proof of importance," based on the validator's reputation, "proof of use," corresponding to the volume of transactions performed by the user, or finally "proof of burn," where a validator destroys some of their assets to prove their commitment to the protocol.

More complex techniques, such as sharding (operation segmentation) and rollups (off-chain calculations, less costly but based on advanced mathematical concepts), are the current solutions presented to reduce blockchain's energy consumption, which still remains in the same order of magnitude as activities in web 2.0 data centers.

As a technical solution, blockchain is a constantly evolving protocol type. It mobilizes the best networking engineering, cryptography, economics, and electronics skills. The solutions it outlines have already given rise to a new way of thinking about entrepreneurship, commercial exchanges, and the valuation of digital assets. Beyond crises and bubbles, blockchain and web 3.0 will have a lasting impact on all sectors of the economy.

 

An interview with Stéphanie Cabossioras, former French Regulator & ex-Binance France director